Le Français Sigfox lève 100 M€ comme une plume
Avec son réseau spécifique pour les communications bas débit de l’Internet des objets, la start-up française Sigfox part à l’assaut du monde en levant 100 millions d’euros auprès d’investisseurs judicieusement choisis. Un investissement de seulement 5 à 10 M€ pour couvrir un pays comme la France de 1400 antennes et pouvoir gérer plus de 1 milliard d’objets connectés, pour un prix facturé aux clients de 1 euro par objet et par an, à partir d’un million de pièces : il n’en faut pas plus pour convaincre les investisseurs de dupliquer la recette au niveau mondial.
Plus de 130 millions d’euros ont été souscrits pour l’augmentation de capital de la start-up (*) qui avait déjà réussi à lever 27,5 millions d’euros depuis sa création en juin 2012 jusqu’à fin 2014. La personnalité et l’expérience d’Anne Lauvergeon qui a rejoint Sigfox en avril dernier au poste de présidente du conseil d’administration auront certainement compté pour réunir cette somme. « Elle a une vision des barrières qu’il nous reste à franchir », reconnaît Ludovic Le Moan, fondateur de la start-up.
Il leur a fallu choisir ces investisseurs avec pour seul objectif : faire décoller très vite le marché des objets connectés à la technologie Sigfox à l’échelle mondiale. Le tour de table constitué par la start-up reflète cette ambition : rejoignent les investisseurs présents au capital de la société dont Intel, des opérateurs internationaux (Telefonica, SK Telekom en Corée, NTT Docomo au Japon), un fonds américain (Elliot Management) pour implanter dès cette année un réseau aux Etats-Unis (la FCC vient de donner son accord), des partenaires industriels clients (GDF Suez, Air Liquide) et enfin Eutelsat, pour apporter une dimension « spatiale » à la technologie brevetée du Français. Des antennes Sigfox ont été embarquées dans le dernier satellite Spot 7 d’Astrium avec l’idée d’étendre la couverture du réseau Sigfox aux océans et aux zones montagneuses non couvertes par les réseaux terrestres.
On est loin de la perplexité initiale des opérateurs vis- à-vis de la technologie bas débit du Français : « on est passé du doute, à la phase où nous étions perçus comme des concurrents, à celle maintenant où nous sommes considérés comme des partenaires », se félicite Ludovic Le Moan. Actuellement le réseau couvre 2 millions de km2 dans cinq pays, France, Espagne, Pays-Bas, Belgique, Grande-Bretagne. L’objectif est d’atteindre le plus rapidement une quarantaine de pays, dont le marché stratégique des Etats-Unis. Pour aller vite dans le déploiement de son réseau, Sigfox a mis en place une stratégie de partenariat avec des opérateurs télécoms locaux baptisée SNO (Sigfox Network Operator), livrant des équipements à l’opérateur pour lui permettre de déployer le réseau sous licence et partager par la suite les revenus de son exploitation. Il faut environ 1500 antennes pour couvrir un pays de la taille de France, pour relier plus d’un milliard d’objets avec un investissement de 5 à 10 M€. Il faut environ 6 mois pour implanter le réseau dans un pays en passant un accord SNO avec un opérateur.
Les partenariats de Sigfox avec les grands opérateurs qui entrent à son capital lui permettront également de peser dans la définition du futur standard 5G. « C’est une erreur de penser que la 5G, ce sera seulement la 4G en plus rapide ; il y a aura tout une partie de la norme qui concernera les communications bas débit qui nous intéresse », rectifie Ludovic Le Moan.
La technologie bas débit de Sigfox rend en effet possibles des applications en terme de coût et de consommation d’énergie impensables avec les technologies conventionnelles (GSM, WiFi, etc.). Les mastodondes américains (Apple, Google, Amazon, etc.) ont une vision sommaire de l’IoT, selon le dirigeant : ils considèrent que l’on peut tout relier en Wi-Fi, ce qui est incompatible avec la charge des batteries. « Ce qui compte, ce n’est pas tant le coût de la connexion de l’objet au réseau que l’on rend marginal, que les économies que l’on peut réaliser sur les interventions liées aux défaillances et la maintenance de l’objet », renchérit, pour sa part, Anne Lauvergeon. Ainsi, l’intervention d’un opérateur sur un compteur d’eau serait facturée de 100 à 200 euros. Si la durée de vie de l’accumulateur du compteur connecté est de 20 ans au lieu de 5 à 10 ans, les économies réalisées par la compagnie de distribution de l’énergie sont gigantesques.
Avec un prix annuel de 1euro par objet connecté à partir d’un millions de pièces, Sigfox estime qu’il divise par dix le prix de la mise en réseau d’un objet connecté par rapport aux technologies concurrentes, avec une puissance d’émission maximale de 25 mW. Si l’on considère que l’objet ne communique pas la plupart du temps, sa consommation lissée sur un temps long est même ramenée aux microwatts. La R&D de l’entreprise est d’ailleurs concentrée sur la réduction de la consommation des objets connectés pour passer du milliwatt au microwatt ou se passer carrément de batterie, l’objet tirant dans le futur son énergie des ondes électromagnétiques, de la chaleur, de la lumière, etc.
400 000 objets connectés reliés, 5 millions en carnet
Les applications du réseau Sigfox sont potentiellement infinies ((l’entreprise travaille actuellement sur 1 millier de projets émanant d’entreprises souvent naissantes). Cela va du capteur de démarrage de feu de forêt que l’on cloue sur un arbre, sans souci de sa consommation ou de la portée du réseau (une transmission radio à plus de 100 km d’une antenne a déjà été obtenue), à l’automobile (eCall pour les zones non couvertes par les réseaux de téléphonie mobile), en passant par la sécurité incendie (prévenir en cas de disfonctionnement d’un détecteur de fumée), la sécurité intrusion (envoyer une alarme en cas de détection d’un brouilleur GSM, nouveau compagnon des cambrioleurs pour annihiler la protection par alerte GSM). Dans le Loiret, le Conseil Général va également équiper 15 000 foyers d’un boîtier relié au réseau Sigfox (bouton alarme, etc).
Actuellement entre 300 000 et 400 000 objets sont déjà connectés au réseau Sigfox et l’entreprise a en carnet des commandes représentant environ 5 millions d’objets. « Contrairement aux applications Internet où il suffit de se connecter au réseau pour exister, le frein principal à notre développement, c’est le temps de fabrication des objets connectés pour passer du prototype de l’objet avec émetteur-récepteur RF aux volumes », reconnait Ludovic Le Moan. C’est aussi un atout. « Si un concurrent apparaît, il lui faudra 18 à 24 mois pour arriver où nous en sommes aujourd’hui en nombre d’objets gérés. Nous aurons le temps de le voir grandir ». « L’Internet des objets ramène le barycentre de l’innovation vers l’Europe », assure Ludovic Le Moan. Espérons-le.
(*) Cette levée de fonds comprend un tour de table initial de 81 M€ et une réserve de surallocation de 19 M€ qui permettra au gré des besoins de Sigfox de faire entrer de nouveaux partenaires stratégiques au capital de la société dans les prochains mois. Ensuite, Sigfox envisage une introduction en Bourse à la mi-2016.
Au rang de ses partenaires, Sigfox compte Texas Instruments, Silicon Labs, Atmel, Axsem, Thingworx, Plat.One, Telit et Telecom Design.