« Pénurie de semiconducteurs : nous reviendrons à une situation proche de la normale dans un an »

Malgré l’impact des crises successives (Covid-19, pénurie de composants, tensions géopolitiques, etc.), la situation devrait revenir à la normale au début de l’année 2024 dans le secteur de l’électronique en termes d’approvisionnement, selon Nick Wood, directeur des ventes et du marketing d’Insight SiP, qui se montre par ailleurs optimiste pour les années à venir avec la perspective d’une croissance forte, régulière et stable.

Il y a un an, vous vous étiez livré à l’exercice périlleux des prévisions économiques pour l’industrie électronique mondiale en 2022. Avec le recul, aviez-vous visé juste à l’époque ?

Nick Wood – En ce début d’année 2023, j’ai comparé les prévisions que j’avais faites il y a un an avec ce qui s’est réellement passé en 2022. Et je peux dire, avec une certaine satisfaction, que mes prévisions 2022 se sont révélées assez justes dans l’ensemble. J’avais par exemple anticipé que l’inflation serait beaucoup plus forte et persistante que ce que les gouvernements et les banques centrales avaient prévu, ce qui n’était pas très difficile à prédire, je vous l’accorde. J’avais également affirmé que les tensions géopolitiques conduiraient à une grande remise en question de la chaîne d’approvisionnement mondiale et que la demande resterait forte tout au long de l’année, mais qu’à la fin 2022, nous verrions un certain ralentissement lié aux effets de la constitution de stocks et des augmentations de prix. Ce qui, selon moi, est en train de se produire.

La situation est-elle similaire en 2023 ?
Nick Wood – En ce début d’année 2023, l’industrie électronique mondiale ne semble pas très différente de celle de 2022. Pour les entreprises qui doivent composer avec des semi-conducteurs avancés dans leur chaîne d’approvisionnement, les délais sont encore longs, les carnets de commande pleins et les perspectives globalement roses. TSMC qui, en quelque sorte, fait office de baromètre et de « sonnette d’alarme » pour l’industrie des puces, a annoncé de nouvelles augmentations de prix pour 2023, bien qu’à un niveau plus modeste, de l’ordre de 6 à 9%, contre environ 20% auparavant.

Toutefois, derrière les chiffres clés, la situation est plus nuancée. Au sein de notre clientèle, j’observe une situation contrastée. Certains clients sont en mode « repoussoir », ayant constitué d’importants stocks de sécurité et constatant peut-être un fléchissement de la demande, alors que d’autres se battent encore pour l’avancement des livraisons. Cela dépend vraiment des secteurs du marché. Les marchés de la consommation grand public ont été quelque peu touchés par le retour de la pandémie et les pressions inflationnistes qui réduisent le pouvoir d’achat. Les marchés industriels et professionnels, en revanche, restent solides.

Comment va évoluer l’approvisionnement en semi-conducteurs en 2023 ?

Nick Wood – Je pense que l’inflation va diminuer au cours de l’année 2023 et que la demande va quelque peu se tasser. Les délais de livraison des semi-conducteurs devraient être ramenés à environ 6 mois à la fin de l’année. Ainsi, au début de 2024, nous reviendrons à une situation proche de la « normale ». La Chine a abandonné sa politique du zéro-covid. Si cette politique provoque actuellement une dernière vague de perturbations, on peut s’attendre à ce qu’elle n’ait plus d’impact significatif d’ici la fin de l’année. Cela supprimera un obstacle au bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Nous sommes actuellement dans la phase finale du cycle de crise post-pandémique. À moins d’une nouvelle catastrophe telle qu’un nouveau variant du Covid particulièrement virulent, une escalade dramatique de l’invasion de l’Ukraine ou dans la mer de Chine méridionale, d’ici à la fin de 2023, nous serons revenus à une situation « comme avant ».

Quels sont les moteurs de la demande en électronique actuellement ?
Nick Wood – Certains facteurs généraux à long terme continueront à soutenir la demande sous-jacente dans l’industrie électronique.

Tout d’abord, l’innovation reste plus dynamique que jamais et la révolution de l’internet des objets ne montre aucun signe d’essoufflement. Certes, dans le domaine de l’IoT, certaines des idées les plus folles seront-elles balayées par la pression actuelle sur les prix et la baisse des revenus des consommateurs. Mais il est indéniable qu’il existe de nombreuses innovations ingénieuses et d’une réelle valeur ajoutée qui attendent d’être mises en œuvre.

Par ailleurs, le monde subit un réalignement démographique majeur. Le vieillissement des populations et la baisse du taux de natalité entraînent un manque important de personnes en âge de travailler dans les économies industrielles. Le Japon est depuis longtemps en déclin démographique et la population globale de la Chine a diminué de près d’un million de personnes en 2022. De nombreuses économies asiatiques et européennes connaissent des transitions similaires, bien qu’elles s’opèrent à des rythmes différents. Parmi les grandes régions du monde, seules l’Afrique et l’Inde ont une population jeune importante. Mais ni l’une ni l’autre ne sont aujourd’hui de très grands acteurs de l’électronique, même si l’Inde pourrait le devenir de plus en plus.

En outre, l’expérience de la pandémie a conduit un grand nombre de personnes à quitter prématurément le marché du travail. Il reste à voir si cette tendance se maintiendra avec la hausse des prix, mais pour l’instant, elle constitue un facteur supplémentaire. Quoi qu’il en soit, la pandémie a contribué à repenser les pratiques de travail et a sans doute accéléré les changements technologiques dans la manière dont nous menons nos affaires.

En quoi ces différents facteurs d’ordre général et sociétal vont-ils favoriser l’innovation en électronique ?

Nick Wood – L’innovation est au service de la productivité. La seule façon pour les économies avancées de faire face à la réduction de la proportion de personnes en âge de travailler est de se tourner vers l’innovation pour améliorer la productivité, afin de faire plus avec moins de personnel. Des révolutions majeures devront également avoir lieu dans la manière dont nous prenons soin de la population âgée croissante, par exemple en faisant appel à la télémédecine pour offrir des « soins à distance ». Le Japon fait office de banc d’essai pour ce phénomène.
Un autre facteur de motivation pour l’industrie électronique est la pression en faveur des énergies propres et du « net zéro ». Bien qu’il faille rester sceptique quant à la concordance entre les paroles des politiciens et leurs actions, il existe un consensus croissant sur le fait qu’un avenir sans carbone n’est pas optionnel. C’est une nécessité. En outre, il s’agit d’un choix économiquement judicieux. Si l’on excepte les États-Unis, la plupart des économies avancées sont des importateurs nets d’énergie. À long terme, l’investissement dans une énergie propre produite localement fournira un avantage économique évident. S’adapter à un avenir énergétique propre est cependant loin d’être simple. Il ne s’agit pas seulement de changer de méthode de production. Les réseaux électriques devront faire l’objet d’une refonte globale et de nombreux appareils consommant du carbone au niveau local, des voitures aux chaudières à gaz, devront être remplacés. Tout cela se traduit par une demande de solutions électroniques.

Pour conclure, comment résumeriez-vous vos prévisions pour 2023 et peut-être au-delà ?
Nick Wood – Pour résumer, je dirais que d’ici la fin de l’année, l’industrie reviendra à peu de choses près à ce que nous avions l’habitude d’appeler une situation « normale ». Il faudra peut-être attendre un certain temps avant de retrouver un monde avec des prix en baisse, et l’ère de l’inflation générale proche de zéro pourrait ne pas revenir du tout. Mais, la demande devrait quelque peu se tasser au cours de l’année.

À plus long terme, les moteurs de croissance de l’industrie électronique sont plus forts que jamais, même si les types d’appareils finaux et d’applications peuvent changer. Les années 2021 et 2022 exceptionnelles seront derrière nous, mais je prévois la poursuite d’une croissance forte, régulière et stable, pour de nombreuses années à venir.