Ne dites plus TV 4K, mais TV UHD
Le public commence à se rendre compte que les récepteurs TV 4K qu’il a pu acheter jusqu’ici dans le commerce ne lui apportent des images guère plus belles que celles des récepteurs TVHD normaux, du moins dans des conditions habituelles. Les vraies améliorations des vidéos, dont le passage à 60 images par seconde (HFR) ou une grande dynamique dans les luminosités (HDR) n’entreront en effet dans des normes que cette année. Deux forum récemment créés vont sans doute aider à définir ce que seront les futurs téléviseurs « UHD (ultra haute définition) ready ». – par JP Della Mussia –
Devant l’échec de la diffusion 3D par la télévision, les fabricants de téléviseurs ont vite cherché en 2011 un nouvel argument commercial pour vendre leurs appareils haut-de-gamme. Et ils l’ont trouvé : les fabricants de dalles LCD ou OLED pouvaient en effet, à diagonale d’écran donnée, doubler leur définition linéaire (dont le nombre de lignes) sans que l’augmentation de prix soit rédhibitoire. « Multiplier par quatre la définition surfacique des dalles » étant un argument facilement compréhensible et a priori bien reçu par le public, la relève fut toute trouvée. Journalistes et spécialistes purent effectivement vérifier, une fois les premiers écrans sortis et le nez sur la dalle, que la définition était bien meilleure en 4K qu’en TVHD. Seulement voilà : on ne regarde que très rarement la télévision le nez sur la dalle, mais plutôt à 2,5 m. Rappelons-nous : lorsque la télévision est passée au numérique, en qualité dite « SD », nos téléviseurs 82 cm ou 90 cm ont fourni à l’époque une image 625 lignes jugée « parfaite » au niveau définition lorsque l’on regardait l’écran à 2,5 m. Puis, les écrans LCD arrivant, nous sommes passés à la TVHD, à définition linéaire presque doublée ; il devenait dès lors possible de regarder la TV avec une définition « parfaite » jusqu’à une diagonale d’écran également doublée d’1,7 m environ. La cruelle réalité est alors apparue aux fabricants de téléviseurs : la demande du public en diagonales d’un mètre à 1,25 m a été réelle, mais au-delà, et en particulier à 1,6 m, on ne pouvait toucher que des passionnés dont le conjoint accepte un écran immense sur « son » mur. (Les opérateurs de télévision ont d’ailleurs alors limité la définition TVHD à 1440 points par ligne et non 1920, comme le dicte la norme, sans que cela se sache en dehors du cercle des initiés).
En général, la 4K ne sert à rien ou presque
Que dire, dès lors, de la 4K ? L’évidence: elle ne sert à rien ou presque. L’écran étant toujours regardé à 2,5 m, la diagonale maximale de l’image « parfaite » passe simplement à 3,4 m. Ce qui conduirait à des écrans LCD hors de prix, inesthétiques et qui plus est ne passent pas les portes ; il deviendrait nécessaire de revenir à la vidéo projection. Nous ne serions plus là sur un marché grand public, mais peut-être sur un nouveau type de marché, une extension de l’ancien marché des projecteurs de diapositives (pour projeter, outre les vidéos, des images JPEG personnelles, éventuellement recadrées, de 8M pixels).
Terminé, les images saccadées
L’industrie de l’image n’est pas stupide : dès 2013, l’UER démontrait que l’augmentation du nombre d’images transmises par seconde conduisait à une augmentation du plaisir de vision bien supérieure à celle provoquée par l’amélioration de la définition. La différence est particulièrement significative pour les retransmissions sportives et tous les programmes avec de nombreux mouvements. (Nous avons personnellement pu apprécier une amélioration spectaculaire lors d’une diffusion à 48 images par seconde). Tous les organismes proches de la normalisation se sont alors mis au travail sur ce thème… Et sur d’autres. Un projet de norme « UHD1 » prévoit d’ailleurs que le nombre d’images par seconde puisse monter à 50 ou 60. Mais rappelons-nous : lors de l’apparition des premiers PC, une image pouvait légèrement « papilloter» avec 70 balayages par seconde. C’est donc que l’œil peut être sensible à un tel rythme. Une UHD dite « 2 » pourrait ainsi offrir à l’avenir jusqu’à 120 images /s, valeur il est vrai extrême qui n’intéresse qu’une faible partie de la population.
Augmentation de la « dynamique » lumineuse des images numériques
Par ailleurs, et particulièrement l’année dernière, de très nombreux tests ont montré qu’une augmentation de la « dynamique » lumineuse des images numériques serait bien appréciable. Le récent livre blanc de Keepixo (spin-off d’Allegro) intitulé «High Dynamic Range Video » montre par exemple que les transmissions vidéo actuelles limitent souvent la luminance des images à 100 nits, ce qui vient des caractéristiques des anciens tubes cathodiques. Avec les LCD, il est possible d’étendre la dynamique de luminance de 1/10 000 nits (noir profond) à 1000 nits (blanc maximal). Ce seuil serait d’ailleurs encore loin des possibilités de l’œil (1/1000 000 à 10 000 000 nits). Mais un éclat de diamant par exemple serait déjà rendu avec beaucoup plus de réalisme puisqu’il serait moins « écrasé » dans ses lumières.
En dehors de ces deux améliorations que nous qualifierions de majeures, d’autres sont possibles, la plupart entrant dans les notions recouvertes par les techniques dites HDR (High Dynamic Range video).
La « profondeur » des images définit la finesse du passage d’un niveau de luminance au suivant (avec 8 bits de profondeur, on voit parfois des bandes de couleurs quand les variations de luminance sont faibles sur une image ; avec 10 bits, le phénomène est très atténué ; avec 12 bits il disparaît).
Le « gamut » des images définit la plage des couleurs reproductibles. Les normes actuelles (REC. 709) permettent de reproduire 35% de ce que peut voir l’œil, chiffre relativement faible qui s’explique par les possibilités des anciens tubes cathodiques. La norme IUT REC 2020, approuvée en 2012, couvre 75% de ce qui est visible par notre œil : il devient possible de voir les couleurs les plus « criardes ». Mais la différence est appréciable sur certains types d’images très colorées.
Normalement, dans une vidéo, les débits accordés aux signaux chrominance (couleur) sont nettement inférieurs à celui accordé au signal luminance. L’œil est en effet moins sensible à la définition des plages couleur qu’à la définition du « noir et blanc ». C’est d’ailleurs pourquoi les coloriages de nos enfants paraissent corrects, même avec des coups de crayons de couleur qui « débordent » des traits des dessins. En pratique, aujourd’hui, même sur les Blu-ray, seul le signal luminance est enregistré en HD. Les signaux chrominance sont encodés en demi-résolution verticale et horizontale, c’est-à-dire avec un débit divisé par quatre. C’est acceptable, mais ce n’est pas parfait. Il serait concevable d’enregistrer aussi la chrominance avec une définition HD ou presque sur du nouveau matériel grand public HD.
Trouver une norme compromis ou permettre plusieurs compromis ?
Le problème de ces améliorations, c’est qu’elles ne peuvent pas être toutes apportées en même temps. La prise HDMI 2.0 par exemple permet le passage de flux 18 Gb/s, ce qui est beaucoup pour du matériel grand public, mais insuffisant pour accepter plus de trois des améliorations précitées, en gros. En outre, les opérateurs de télévision ou autres diffuseurs de flux (comme Netflix) n’accepteront sans doute que deux améliorations (ou trois améliorations amoindries) pour réduire encore les débits. Le temps des normes définitives ne nous paraît donc pas encore arrivé. Ou alors, des normes type « boîte à outils » répondant à différents types de cas de figure, le temps de juger la réaction des téléspectateurs… Et des opérateurs. Rien à voir en effet entre la transmission d’émissions sportives où c’est le nombre d’images par seconde qui doit être privilégié, des images de nature où le HDR est le plus important, et des émissions de spectacle où le son entre en jeu. Les débits globaux des flux, par contre, peuvent être comparables dans toutes ces applications.
La conclusion de cette réflexion est que la 4K au sens actuel ne peut être qu’une amélioration parmi d’autres, et encore, une amélioration non prioritaire. La 8K, souvent évoquée au Japon, semble encore plus inutile pour des applications grand public, même avec l’utilisation d’un vidéo projecteur. (Comme nous l’avons nous-mêmes constaté au Japon, il faut vraiment tourner la tête pour regarder une image 8K entière sur un écran géant ; et si l’on regarde à droite, on ne voit pas ce qui se passe à gauche ; la 8K ne peut donc être à notre avis réservée qu’à l’industrie du spectacle).
À court terme, la priorité est de définir ce que devrait être un téléviseur « UHD ready », compatible avec le maximum de progrès possibles. On l’aura compris, il devra au minimum accepter le 60 ou 120 images par seconde et des contrastes de 1000 à 65 000 (étape dite d’amélioration) ou au-delà de 65 000 (étape dite HDR). Pour le reste, la discussion est ouverte. L’UHD Alliance et l’UHD Forum, récemment formés, rendront sans doute un premier verdict cette année*.
JP Della Mussia
Cet article a été écrit en hommage à Gilles Maugars, Directeur Général adjoint à TF1, entre autres pour les technologies et systèmes d’information, membre fondateur du HD Forum, décédé le 30 août 2014. Il était très respecté de la profession ainsi que des journalistes spécialisés. Son avis comptait beaucoup dans toutes les discussions. Il ne manquait jamais de nous ramener à des réalités lorsque nous rêvions trop.
* L’UHD Alliance a lancé lundi au CES un logo « ULTRAHD PREMIUM » qui est un pas en ce sens puisqu’il définit des spécifications UHD. Un pas à caractère marketing, bien adapté aux possibilités des matériels, mais moins aux besoins prioritaires des spectateurs. Ces spécifications oublient en effet tout ce qui concerne l’audio et le nombre d’images par seconde.