De la difficulté de faire des prévisions fiables en semiconducteurs …
Il est bien difficile de faire des prévisions fiables pour la croissance du marché des semiconducteurs, dont on connaît pourtant avec une certaine précision la progression en nombre d’unités. Tel était le sens de la présentation la semaine dernière de Wally Rhines, p-dg de Mentor Graphics de passage à Paris à l’occasion d’un rencontre avec les grands clients (Thales, Airbus, Nokia Networks). Pour y remédier, le dirigeant propose d’extrapoler la courbe de Gompertz à l’électronique pour mieux prédire les marchés, notamment les applications naissantes de l’IoT.
Dans sa présentation, effectuée avant la publication des études actualisées de Gartner et d’IC Insights, Wally Rhines rappelle qu’il y a un an, le consensus des études de marché tablait sur une croissance de 3% pour le marché des puces en 2016, alors qu’il est actuellement de -0,8%.
Pourquoi l’art de prévision est–t-il délicat dans l’industrie des puces, s’interroge le dirigeant ? La volatilité des revenus dans l’industrie des semiconducteurs est la conséquence de l’évolution des volumes de circuits en nombre d’unités et de celle de leur prix moyen de vente. Pour autant, la demande en nombre d’unités a toujours été assez bien prédictible. En outre, l’évolution de la surface de silicium nécessaire pour produire des circuits intégrés afin de répondre à cette évolution est également aisée à anticiper et à mesurer. Au cours des 27 dernières années, elle a été en moyenne de 6,9% par an (avec de faibles amplitudes, malgré les cycles). Quant au revenu qu’un fabricant de semiconducteurs peut tirer d’une surface de silicium, il est constant et stable. Depuis 1994, il est de 32,7 dollars par pouce carré, soit 5,07 dollar par cm2, assène le p-dg de Mentor.
Pourquoi alors des prévisions si peu fiables du marché en valeur ? Pour le p-dg de Mentor, l’une des causes de ces échecs est liée à l’impact croissant des productions captives qui échappent aux statistiques. Ainsi pour les smartphones, les processeurs mobiles spécifiques d’Apple et de Samsung représentent 33% du marché des processeurs pour téléphones mobiles, alors que cette part était encore nulle en 2008. Cela a un impact de l’ordre de 10 milliards de dollars sur le marché des semiconducteurs, soit 3% à 3,5% du marché. Une épaisseur de trait non négligeable qui rend les prévisions périlleuses.
La courbe de Gompertz pour prévoir la maturité des marchés applicatifs
Pour le p-dg de Mentor, prévoir l’évolution des revenus du semiconducteurs nécessite d’avoir des prévisions fiables pour les nouvelles applications qui jalonnent l’histoire de l’électronique depuis l’ère du mainframe, puis celles du PC, du réseau, des communications mobiles, de l’électronique automobile, de l’embarqué intelligent et aujourd’hui de l’Internet des objets. Wally Rhines propose d’adapter aux technologies le modèle de Gompertz, un mathématicien qui en 1825 établit une courbe qui traduit la diminution exponentielle du nombre d’organismes vivants proportionnellement à l’augmentation linéaire de l’âge. Cette formule permet de quantifier le cycle de vie d’une application depuis son introduction, sa croissance rapide et enfin sa maturité. Extrapolée aux différentes applications phares de l’électronique, la courbe de Gompertz montre où l’on se situe aujourd’hui dans les PC, les abonnements à la téléphonie mobile, les smartphones, mais aussi les applications émergentes de l’IoT (compteurs intelligents, wearables, etc).
Si pour les PC de bureau, les volumes cumulés de ventes en nombre d’unités se rapprochent dangereusement de l’asymptote, pour les smartphones ou les PC de bureau, la progression sera encore linéaire pour quelques années. De même, les transistors silicium que l’on connaît actuellement ne devraient pas voir leur emploi contesté avant 2030-2035 (date de l’asymptote).
Trois marchés majeurs pour les semiconducteurs de l’IoT
Pour les applications de l’Internet des objets (compteurs intelligents, produits wearables connectés), on n’en est qu’au début de la courbe Gompertz. Wally Rhines distingue trois marchés majeurs pour la consommation de semiconducteurs dans l’IoT : les centres de données (analyse et stockage des données), les passerelles qui collectent les données et enfin les nœuds de l’IoT (capteurs, actuateurs, imageurs, transmetteurs). Les data centers constituent aujourd’hui le premier débouché semiconducteur de l’IoT (gros circuits SoC, mémoires). Les serveurs absorbent déjà 4,2% du marché des semiconducteurs dans son ensemble. Les passerelles (gateways) vont devenir, suivant la courbe de Gompertz, un important débouché pour les semiconducteurs (déjà 3,1% du marché en 2015). Enfin pour les nœuds de l’IoT (un marché de 15,4 milliards de dollars en 2015), les volumes de capteurs, actuateurs et autres deviendront certes très importants, mais la pression sur les prix sera terrible.
Les entreprises qui possèderont et exploiteront les données de l’IoT seront celles qui gagneront le plus d’argent. A l’autre bout de la chaîne, les fabricants de capteurs seront ceux qui en gagneront le moins, à moins de remonter dans la chaîne de valeur ver le système pour capter une part de la valeur de la possession de la donnée, conclut le dirigeant.