
European Chips Act : “L’objectif des 20% relève du vœu pieux”

C’est le constat de la Cour des comptes européenne qui estime que pour atteindre cet objectif, il faudrait multiplier quasiment par quatre la capacité de production de semiconducteurs en Europe dans les cinq prochaines années.
Alors que la Commission européenne est supposé présenter sa première évaluation intermédiaire et son premier réexamen du Chips Act au Parlement européen et au Conseil d’ici à septembre 2026, la Cour des comptes européenne a publié hier les résultats d’un audit sur la loi européenne sur les puces entrée en vigueur en septembre 2023.
Dans ce rapport de 77 pages (dont 23 pages d’annexes) présenté hier lors d’une conférence de presse et disponible en cliquant sur ce lien, la Cour des comptes européenne dresse un constat sans appel : il est très improbable que l’UE atteigne son objectif de détenir 20% de la production mondiale de semiconducteurs à l’horizon 2030. Bien que le Chips Act ait donné un nouvel élan à l’industrie européenne des puces, les investissements qui en découlent ne vont pas lui permettre de véritablement décoller, les auditeurs ayant constaté « un fossé entre l’ambition affichée et les avancées réelles ».
« L’Europe doit d’urgence confronter sa stratégie pour le secteur des semiconducteurs à la réalité du terrain, prévient Annemie Turtelboom (photo), la membre de la Cour des comptes européenne chargée de l’audit. Nous avons affaire ici à une industrie en rapide évolution, marquée par une concurrence féroce sur le plan géopolitique. Et au rythme actuel, nous ne pourrons certainement pas concrétiser nos ambitions. L’objectif de 20% relève du vœu pieux : pour l’atteindre, il nous faudrait multiplier quasiment par quatre notre capacité de production dans les cinq prochaines années. Autant dire que nous sommes à la traîne. L’Europe doit pouvoir rivaliser, mais pour ce faire, la Commission européenne doit d’abord revoir sa stratégie à long terme pour mieux coller à la réalité du marché. »

© Cours des comptes européenne
L’audit rappelle que Bruxelles ne gère que 5% (soit 4,5 milliards d’euros) des 86 milliards d’euros de fonds estimés nécessaires par le Chips Act jusqu’en 2030, le reste étant censé être apporté par les États membres et les industriels du secteur. À titre de comparaison, les géants de l’industrie mondiale ont prévu un budget de 405 milliards d’euros d’investissements sur trois ans (de 2020 à 2023), ce qui rend toute relative la force de frappe financière du Chips Act, souligne le rapport, qui précise par ailleurs que la Commission européenne n’a pas de mandat pour coordonner les investissements nationaux et ainsi les aligner sur les objectifs de l’action européenne.
La Cour des comptes européennes déplore également le fait que le Chips Act manque de clarté dans ses objectifs et son suivi, de sorte qu’il est difficile de savoir s’il tient dûment compte de la demande actuelle de semiconducteurs conventionnels dans l’industrie.
L’audit met également en avant plusieurs autres facteurs majeurs affectant la compétitivité de l’Europe dans ce domaine et hypothéquant les chances de succès du Chips Act actuel, tels que la dépendance aux importations de matières premières, les coûts élevés de l’énergie, les problèmes environnementaux, les tensions géopolitiques et les contrôles des exportations, ainsi que la pénurie de main-d’œuvre qualifiée.
En outre, le fait que l’industrie européenne des puces se compose seulement de quelques grandes entreprises se focalisant sur des projets de haute valeur, compromet également les chances de réaliser l’objectif du Chips Act : tout abandon, retard ou échec d’un seul projet peut dès lors avoir un impact considérable sur l’ensemble du secteur.
En conclusion, « les auditeurs estiment qu’il est très peu probable que le Chips Act permette d’accroître de manière notable la part de l’UE sur le marché des semiconducteurs, sans même parler d’atteindre l’objectif de 20% de la production mondiale ». La Cour des comptes européenne rappelle que, dans ses propres prévisions publiées en juillet 2024, la Commission européenne annonce que, malgré la hausse significative attendue de la capacité de production de l’UE, la part de celle-ci n’augmentera que légèrement, passant de 9,8 % en 2022 à seulement 11,7 % d’ici à 2030…
En plus de suggérer à l’UE de confronter d’urgence la stratégie en place à la réalité du terrain et de prendre les mesures correctives à court terme qui s’imposent, la Cour des comptes européenne exhorte également l’UE à avoir une vision sur le long terme et à élaborer dès maintenant la prochaine stratégie européenne en matière de semiconducteurs.