« L’AIoT est déjà en marche dans les applications industrielles »
En exclusivité pour ViPress.net, Dirk Finstel, vice-président associé pour l’IoT embarqué chez Advantech Europe, explique la manière dont la fusion de l’IoT avec l’IA va étendre le champs des possibles non seulement dans notre quotidien, mais aussi dans les débouchés industriels, en particulier dans le cadre de la numérisation des procédés. M. Finstel aborde également les objectifs ambitieux d’Avantech en Europe dans ce domaine.
Dirk Finstel, vous êtes vice-président associé pour l’IoT embarqué chez Advantech Europe. Depuis peu, IoT rime de plus en plus souvent avec Intelligence artificielle (IA) au point que l’on évoque aujourd’hui le concept d’AIoT (Artificial Intelligence of Things, intelligence artificielle des objets). Dans quelle mesure la fusion de l’IoT et de l’IA dans l’AIoT va-t-elle se développer ?
Dirk Finstel – Les deux technologies peuvent très bien être utilisées indépendamment l’une de l’autre. Mais la convergence entre l’IoT et l’IA s’avère inévitable en fin de compte, car les deux ne peuvent pas évoluer complètement indépendamment l’une de l’autre. L’IoT est capable de collecter de grandes quantités de données et de les rassembler pour les analyser de manière harmonisée. C’est un élément fondamental des processus de l’intelligence artificielle. L’IA ne peut apporter de valeur ajoutée que si elle est capable de prendre rapidement les bonnes décisions, dans les bonnes circonstances. Et la seule façon de créer des modèles d’IA valables est d’utiliser de grandes quantités de données réelles.
Ce qu’il y a de bien dans une véritable architecture IoT intégrée à l’edge computing, c’est que les algorithmes d’IA peuvent être externalisés vers les dispositifs edge. De cette manière, l’ensemble du système peut être optimisé au niveau latence et bande passante. Cela nous donne le meilleur des deux mondes, à savoir l’accès à de grandes quantités de données en direct, avec la possibilité de réduire à la fois les frais supplémentaires et la dépendance liés au cloud computing en matière de faible latence. Les nouvelles normes de connectivité telles que le Wi-Fi 6 ou la 5G sont très intéressantes de ce point de vue.
C’est pourquoi Advantech a combiné puissance informatique, connectivité et capteurs, afin de créer une plateforme d’IA. Cela fonctionne sur la plateforme cloud WISE-PaaS en conjonction avec un plug-in AI Microsoft ou nos modules Vega à base Intel ou Nvidia. Les suites d’IA de différents partenaires sont très puissantes et peuvent traiter et analyser rapidement et efficacement toutes les données transmises au cloud par les systèmes Advantech. Ces dernières années, l’accent était surtout mis sur le matériel dans ce contexte, mais cela a changé. Aujourd’hui, l’intégration des logiciels sur la plateforme IoT va plus loin. Il faut répondre à des questions telles que : Comment installer l’application logicielle sur la plateforme ? Comment traiter réellement ces données de manière efficace ? Et au bout du compte, l’information doit aboutir dans le système ERP ou être utilisée par un processus du client. C’est le prochain grand défi.
Pouvez-vous nous donner des exemples d’applications de l’AIoT ? Dans quel secteur pensez-vous voir le plus d’applications ?
Dirk Finstel – Le marché des solutions combinées IoT et IA n’en est encore qu’à ses débuts. Mais nous pensons qu’il va se développer de manière significative d’ici deux ou trois ans.
Aujourd’hui, il existe déjà des exemples, comme en témoigne l’utilisation du contrôle automatisé des passeports (APC) dans de nombreux aéroports. Dans ce cas particulier, les données sont capturées par des caméras, puis transmises à un serveur central via un dispositif périphérique et une passerelle. Sur ce serveur, elles sont automatiquement évaluées par un logiciel, puis retournées au dispositif edge de la machine APC, sous forme d’une instruction d’action. À l’avenir, nous verrons de telles associations de dispositifs IoT et IA dans de nombreux autres domaines.
Les applications typiques, par ailleurs stimulées par la pandémie de Covid, sont notamment les applications de libre-service dans la distribution, et les applications de signalisation numérique d’intérieur et d’extérieur. J’anticipe également une croissance supplémentaire dans les domaines de la sécurité, de l’automobile et de la maison intelligente, ainsi que dans le secteur médical – en particulier pour les soins de santé. Dans tous ces domaines, la protection des données doit être prise en compte, notamment dans le cas d’applications de reconnaissance de personnes dans les lieux publics. Dans ce cas, les conflits d’intérêts potentiels doivent être résolus. Si les technologies IoT et IA sont fusionnées, cela donne un pouvoir de transformation beaucoup plus important.
Il existe également des applications très gourmandes en données, qui ne sont pas nécessairement optimisées pour les produits AIoT standard classiques. Des limites apparaissent en termes de bande passante mémoire, de bande passante d’E/S, et surtout, s’agissant d’applications hautes performances, en termes de dispositifs de stockage de masse fiables qui offrent des capacités suffisantes.
Advantech a déjà mis en œuvre des solutions spécifiques très intéressantes pour certains de ses clients, avec ses propres technologies SSD. Le nombre d’applications de ce type ou similaires va certainement augmenter à l’avenir.
Quels sont les principaux avantages de fusionner les technologies IoT et IA ?
Dirk Finstel – L’IoT et l’IA nécessitent une symbiose parfaite entre l’acquisition, la transmission et le traitement des données. En d’autres termes, des capteurs qui sont initialisés directement ou via une passerelle dans le cloud, une connectivité sans fil dernière génération pour le transfert de données en temps réel, des dispositifs edge computing capables de prendre en charge certaines sous-tâches IA en local, des serveurs sur site, et le cloud lui-même. En associant ces données à des algorithmes IA, et en étant capable de générer des décisions automatiquement, dynamiquement ou au cas par cas, on génère une nouvelle catégorie d’applications et de dispositifs finaux qui étaient inimaginables auparavant. Notre philosophie est de couvrir tous ces sous-domaines et de fournir un système complet de matériels et de logiciels liés et coordonnés, en optimisant le coût de l’ensemble pour le client.
Où en est l’Europe dans ce domaine ?
Dirk Finstel – En général, l’Europe n’est pas au même niveau que l’Amérique du Nord ou la Chine dans le domaine clé de l’IA. Nous avons perdu un marché d’avenir ici, du fait du manque d’investissement dans le marché des semi-conducteurs. Mais il y a encore de l’espoir dans le domaine des logiciels et c’est aussi une valeur ajoutée importante que l’Europe peut apporter aux clients locaux, car la standardisation du matériel, elle, ne s’arrêtera pas. Le nombre de start-up d’IA en Europe est en constante augmentation et c’est un très bon signe, car ce sera essentiel pour nos clients européens de ne pas rater le coche cette fois…
Dans le secteur industriel traditionnel, cependant, une évolution vers l’IoT et l’IA est déjà en cours. La fusion de l’IoT et de l’IA est aussi l’occasion de mettre en place des solutions totalement nouvelles, qui seront surtout développées par de nouveaux clients axés sur les logiciels et le cloud. Les clients actuels de l’informatique embarquée vont étendre et adapter leurs applications et solutions actuelles, et en développer de nouvelles pour répondre aux demandes du marché, qui ne cessent de croître. Les entreprises qui se concentrent aujourd’hui exclusivement sur les logiciels vont devenir de nouveaux clients à mesure que les deux domaines vont converger.
C’est là qu’est l’opportunité pour le marché européen d’appliquer les nouvelles technologies de manière rentable dans certains secteurs traditionnels forts, comme l’ingénierie mécanique.
Comment aidez-vous vos clients à créer une solution combinée IoT-AI ?
Dirk Finstel – Tout d’abord, un fabricant de matériel doit comprendre la complexité des solutions, notamment en ce qui concerne les logiciels, les technologies cloud, et le déploiement, afin de pouvoir apporter une valeur ajoutée. Par ailleurs, nous aidons nos clients à commercialiser leurs produits plus rapidement en leur fournissant des plateformes prêtes à l’emploi (SRP).
Celles-ci contiennent toutes les briques matérielles et logicielles nécessaires à la mise en œuvre d’une solution combinée IoT plus IA, aussi vite que possible. Nos clients « n’ont plus qu’à » se concentrer sur l’application finale, puisque nous avons déjà réalisé l’intégration matériel/logiciel. Ces SRP sont disponibles pour plusieurs marchés verticaux, afin de prendre en compte les différentes exigences en matière de capteurs, de format type, de température, etc.
Vos clients sont-ils prêts à intégrer pleinement la numérisation dans leurs activités, notamment les entreprises de taille moyenne ?
Dirk Finstel – Le tableau est très contrasté en Europe, avec des secteurs et des clients chez qui cette question est à l’ordre du jour et qui la promeuvent également, en particulier sur les marchés où la productivité, l’efficience et l’investissement peuvent être grandement améliorés avec des modèles économiques numérisés. Nous appelons ces clients les « lièvres » ou les « partisans de la première heure ». Ensuite, il y a des secteurs très conservateurs qui s’intéressent à la question, mais qui n’ont pas encore vraiment avancé. Ils commandent les mêmes produits qu’auparavant et se méfient des innovations. Enfin, il existe un troisième groupe qui ne peut pas encore aller de l’avant, car il n’a pas développé de chaîne de valeur pour monétiser des modèles numérisés et générer un retour sur investissement. C’est compréhensible car la chaîne doit être cohérente jusqu’au client final. Car sans valeur ajoutée, la numérisation des processus n’est ni faisable, ni économique. Dans l’ensemble, cependant, nous constatons une pénétration progressive et la pandémie a même accéléré ce processus dans de nombreux secteurs.
Venons-en à vos objectifs en tant que vice-président associé pour l’IoT embarqué chez Advantech Europe, poste que vous occupez depuis seulement deux ans et demi. Quels sont-ils ?
Dirk Finstel – Notre objectif est ambitieux puisqu’il s’agit de doubler les ventes d’Advantech en Europe au cours des cinq prochaines années. Cet objectif ne peut être atteint qu’en travaillant avec de nouveaux partenaires et en développant notre équipe. Toutefois, ce dernier point en particulier est une tâche difficile sur un marché où la demande de travailleurs qualifiés est importante ; la Covid-19 n’a d’ailleurs rien arrangé dans ce domaine. C’est pourquoi les mesures visant à améliorer l’efficacité sont aujourd’hui particulièrement à l’ordre du jour pour parvenir à cet équilibre.
Nous sommes numéro un au niveau mondial en termes de ventes, de taille et de gamme de produits. Mais nous ne sommes pas encore à la première place en Europe, et nous ne sommes pas non plus encore perçus comme un acteur majeur sur tous les marchés verticaux où nous sommes présents. Je veux changer cela.
L’objectif est clairement d’être numéro un en Europe sur le marché de l’embarqué, mais nous voulons aussi nous développer dans d’autres chaînes de valeur afin d’offrir une véritable valeur ajoutée à nos clients. Cela signifie que nous voulons aussi devenir le plus grand acteur de l’IoT embarqué. Avec notre aide, nos clients doivent être en mesure de réaliser la transition numérique de leurs entreprises, grâce aux logiciels et aux matériels que nous fournissons. Il s’agit d’un énorme défi, car la majorité de nos clients ne se préparent que lentement à la numérisation de leurs entreprises et à la mise en place des processus numérisés adéquats.
Si je devais traduire tout cela en chiffres, je dirais, en un, atteindre un milliard d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2030 en Europe, en deux, devenir numéro un en Europe, non seulement en termes de ventes, mais aussi sur tous les marchés verticaux, en trois, être dans les cinq premiers acteurs importants en Europe dans le domaine de l’IoT industriel et de l’IA, et, en quatre, figurer parmi les dix premiers employeurs du secteur.
La concurrence est forte. Qu’est-ce qui différencie Advantech de ses concurrents en matière d’IoT et d’IoT industriel ?
Dirk Finstel – En tant que fournisseur de premier plan, le groupe IoT embarqué d’Advantech ne se contente pas de proposer la plus large gamme de produits et de solutions embarqués, et de services de conception. Nos solutions IoT intégrées comprennent tout, des capteurs (nœuds) jusqu’aux dispositifs d’edge computing (informatique en périphérie de réseau), en passant par les passerelles, et les plateformes cloud WISE-PaaS et Microsoft Azure IoT.
Avec plus de 25 ans de présence locale et désormais plus de 550 employés en Europe, Advantech fournit, entre autres, des services locaux de vente et de conseil en matière de projets, de conception et de développement, ainsi qu’une assistance technique avant et après-vente. Nous servons nos clients localement, dans leur langue et dans leur fuseau horaire. Par ailleurs, une grande partie de notre middleware (intergiciel) IoT est désormais développé et soutenu par nos centres de développement allemands.
En outre, en tant que fabricant historique de matériel classique, nous nous sommes attachés à comprendre la complexité des solutions, notamment s’agissant des logiciels, des technologies cloud et du déploiement, afin de pouvoir offrir une véritable valeur ajoutée.
C’est pourquoi Advantech investit depuis de nombreuses années dans sa propre plateforme IoT open source, et nous utilisons de plus en plus cette expérience dans les projets des clients. Par ailleurs, nous leur permettons d’accéder plus vite au marché grâce à des plateformes prêtes à l’emploi. Et bien sûr, nous sommes capables de proposer à nos clients des modules constitués de matériels et de logiciels, pour créer des solutions combinées IoT-AI. Il s’agit notamment de plateformes prêtes à l’emploi comme des passerelles, des box PC embarqués (ou des dispositifs d’edge computing) et des modules VPU (Vision Processing Unit, ou processeur de vision) de la gamme Vega, qui, associés aux modules logiciels appropriés, permettent de gérer des dispositifs distants. Des fonctions comme la mise à jour, la mise à niveau, la commande à distance, la commande du stockage et de la transmission de données, la sécurité et la protection, ainsi que la connexion au Cloud (Azure, AWS, etc.) sont désormais possibles.
À cette fin, nous avons mis en place notre propre infrastructure de serveurs à Munich, afin de mettre en œuvre les directives européennes en matière de sécurité. À Munich, nous avons aussi un département qui s’occupe exclusivement de cette sécurité et qui crée sans cesse de nouvelles solutions en coopération avec nos clients.
Comment avez-vous surmonté la pandémie jusqu’à présent ?
Dirk Finstel – En Europe, nous avons pris très tôt des mesures pour protéger nos employés et nous nous sommes préparés au télétravail. Nous avons beaucoup investi dans une infrastructure numérique sécurisée, afin de garantir que tous nos processus tournent aussi bien que possible. Cela a occasionné quelques retards au début, car nos clients ont dû aussi procéder à quelques ajustements, mais aujourd’hui, nous sommes plus efficaces que jamais. Heureusement, nous avons été épargnés par les infections massives puisque nous n’avons eu qu’une vingtaine de cas dans le monde, ce qui prouve l’efficacité de nos mesures de prévention. Nous allons continuer à faire tout ce qui est nécessaire pour protéger nos employés, nos clients et nos fournisseurs.
En tant qu’entreprise, nous sommes sortis relativement indemnes de l’année 2020, avec une croissance nulle, mais en restant toujours rentable. Pour 2021, nous prévoyons de nouveau une croissance, ce qui est difficile étant donné la répartition mondiale actuelle des composants, mais je reste optimiste quant à la réalisation de cet objectif.
Propos recueillis par Pascal Coutance