Architectures de réseau mobile : tout savoir sur l’Open RAN
La technologie Open RAN (réseau d’accès radio ouvert) est une évolution des architectures de réseau mobile qui permet aux opérateurs d’utiliser des solutions non propriétaires provenant de divers fournisseurs et régies par des interfaces ouvertes et interopérables. Joe Barry, vice-président Systèmes & Technologie au sein de l’unité Communications & Cloud d’Analog Devices, explique en détails pour ViPress les tenants et les aboutissants de l’Open RAN, ainsi que l’état des lieux de son déploiement, notamment en Europe.
Comment peut-on définir la technologie Open RAN ?
Joe Barry – Les réseaux mobiles se composent essentiellement de deux éléments : d’une part, le « cœur » qui contrôle le réseau et traite les données ; d’autre part, le réseau d’accès radio (RAN — Radio Access Network) qui connecte les appareils et les terminaux tels que les smartphones.
Dans les réseaux mobiles traditionnels, une seule et unique entreprise, également appelée « intégrateur système », fournit l’ensemble de l’infrastructure du réseau (matériel et logiciel), des antennes montées sur les pylônes de transmission jusqu’à la technologie intégrée au cœur du réseau. Ces infrastructures « fermées » se caractérisent par des fonctions spécifiques et des interfaces propriétaires.
Les réseaux Open RAN (ou O-RAN) sont différents dans la mesure où ils permettent à plusieurs fournisseurs de contribuer à leur fonctionnement en créant des interfaces ouvertes entre les différents organes qui constituent le réseau RAN, notamment l’unité radio (RU, Radio Unit), l’unité distribuée (DU, Distributed Unit) et l’unité centralisée (CU, Centralized Unit). Les protocoles et les interfaces étant standardisés, les opérateurs de réseaux peuvent utiliser des équipements et des logiciels vendus par différents fournisseurs. Cette « ouverture » rend le système plus flexible et favorise l’innovation.
Quels sont les objectifs de la technologie Open RAN ?
Joe Barry – L’ouverture du réseau permet aux opérateurs de choisir des solutions qui correspondent à leurs besoins et d’acquérir, le cas échéant, du matériel et des logiciels auprès de différents fournisseurs, mais également d’ajouter de nouvelles fonctionnalités et de bénéficier en continu de technologies émergentes développées par des tiers : en d’autres termes, cette ouverture encourage le développement d’applications et de solutions nouvelles et originales tout en accélérant l’innovation.
La standardisation des interfaces et des protocoles Open RAN soutiendra par ailleurs l’augmentation du nombre de fournisseurs présents sur le marché et rendra le réseau plus souple en donnant aux opérateurs la possibilité de déployer des réseaux présentant un éventail élargi de fonctions et de services.
À quels types de réseaux cette technologie est-elle destinée ? Pour quelles applications ? Concerne-t-elle à la fois les réseaux publics et privés ?
Joe Barry – Conçue pour les réseaux 4G, 5G et de futures générations, la technologie Open RAN s’applique aux infrastructures sans fil cellulaires publiques et privées à haut débit. Il est important de souligner que tous les éléments du réseau, à l’exception de l’unité radio (RU), peuvent être virtualisés, ce qui signifie qu’ils peuvent fonctionner sur un serveur cloud. Ajoutée à la flexibilité du réseau, cette virtualisation contribue à rendre plus attrayants les réseaux 5G privés dont les cas d’utilisation couvrent de nombreuses applications, de la santé aux outils de production.
Quels problèmes cette technologie permet-elle de résoudre pour les fabricants d’équipements et les opérateurs ?
Joe Barry – La technologie Open RAN élargit le choix de fournisseurs proposés aux opérateurs, encourage l’innovation et élargit le marché disponible pour les fabricants d’équipements. En plus des réseaux d’accès radio, elle ouvre le marché dans sa globalité.
Les interfaces standard de la technologie Open RAN lèvent les barrières à l’accès au marché, créant un espace d’innovation pour les nouveaux entrants qui peuvent développer de nouveaux produits dont les caractéristiques améliorent les performances et l’efficacité. Grâce à cette interopérabilité, les fabricants d’équipements peuvent intégrer leurs produits plus facilement dans différents réseaux. Enfin, la virtualisation des réseaux d’accès radio et l’adoption de solutions logicielles réduisent la dépendance vis-à-vis des équipements propriétaires, permettant aux fabricants de proposer des solutions à la fois plus souples et plus évolutives.
Côté opérateurs, cette ouverture contribue à stimuler la diversité des fournisseurs, à améliorer la résilience de la chaîne d’approvisionnement et à élargir le choix de produits et de services, avec à la clé un élargissement de l’offre de nouveaux produits et services. De plus, l’utilisation d’interfaces ouvertes et standardisées évite aux opérateurs d’acquérir des solutions propriétaires coûteuses, encourageant ainsi l’utilisation du matériel et des logiciels disponibles sur le marché. Les opérateurs peuvent également opter pour des composants qui répondent à leurs besoins spécifiques en intégrant de nouvelles technologies ou fonctionnalités. La modularité et l’interopérabilité de la technologie Open RAN facilitent par ailleurs la mise à niveau des réseaux : en effet, les opérateurs ont la possibilité d’introduire de nouvelles fonctionnalités sans interrompre l’exploitation du réseau.
Quelles sont les principales briques technologiques d’un réseau Open RAN ? Comment fonctionne un réseau Open RAN ? L’architecture réseau est-elle modifiée ? Si oui, comment ?
Joe Barry – La technologie Open RAN fonctionne de la même manière qu’un réseau d’accès radio RAN traditionnel mais elle dispose d’interfaces ouvertes entre les différents nœuds. Avec l’évolution technologique, l’architecture du réseau s’est fractionnée : dans un réseau classique, une unité en bande de base (BBU, Base Band Unit) est installée au pied d’une tour et connectée à des unités radio déportées (RRU, Remote Radio Units) ou unités radio (RU, Radio Units) positionnées en haut des tours près des antennes. L’ensemble constitue la « station de base » ou « tour cellulaire ».
La 4G a légèrement séparé les unités en bande de base (BBU) et les unités radio (RU). Mais avec la 5G, la BBU installée au pied du pylône est encore plus fractionnée et se compose à présent de trois éléments : une unité distribuée (DU, Distributed Unit) située près du sommet du pylône est connectée à l’unité radio (RU, Radio Unit) et à une unité centralisée (CU, Centralized Unit) qui peut être située à plusieurs kilomètres de distance. Avec la technologie Open RAN, les unités RU, DU et CU se connectent par l’intermédiaire d’interfaces ouvertes. Il convient en outre de citer le « contrôleur intelligent RAN », un nouvel organe important qui rend le réseau plus intelligent en exécutant des applications en périphérie, c’est-à-dire au plus près de l’endroit où sont utilisés les téléphones ou les terminaux connectés.
Qu’est-ce qu’un contrôleur intelligent RAN ?
Joe Barry – Comme son nom l’indique, l’objectif d’un contrôleur intelligent RAN (RIC, RAN Intelligent Controller) est de rendre un RAN intelligent, c’est-à-dire plus souple et davantage réactif à l’évolution du réseau et aux besoins des utilisateurs.
Le contrôleur RIC améliore les fonctions classiques de gestion à distance des fonctions radio (RRM, Remote Radio Management) en exploitant les données traitées par des outils d’apprentissage automatique et d’intelligence artificielle. Cette intelligence permet au réseau d’allouer et gérer les ressources radio, d’optimiser le flux de trafic et d’améliorer les performances globales de façon dynamique. En outre, le RIC peut prendre des décisions en temps réel en fonction de l’état du réseau, des exigences des utilisateurs et d’autres facteurs pertinents afin de garantir une expérience efficace et parfaitement transparente.
Que change la technologie Open RAN en termes de coût, de sécurité et de cybersécurité ?
Joe Barry – En deux mots, la technologie Open RAN favorisera l’innovation et la concurrence entre fournisseurs, ce qui se traduit généralement par une baisse des coûts. En ce qui concerne la sécurité, il a été démontré que les plateformes ouvertes qui s’appuient sur de solides communautés de développeurs sont plus sûres que les environnements fermés en raison de la diversité des utilisateurs qui créent et testent le code. L’Alliance O-RAN traite directement les questions de sécurité par l’intermédiaire d’un groupe de travail.
Où en est-on du déploiement de la technologie Open RAN ?
Joe Barry – Elle est déjà en cours de déploiement dans le monde entier. Si le Japon dispose d’une vaste couverture, des réseaux Open RAN sont également déployés en Europe, en Amérique du Nord et dans d’autres régions d’Asie.
Où en est l’Europe en termes d’avancée et de déploiement de la technologie Open RAN ?
Joe Barry – Plusieurs opérateurs européens ont lancé des programmes, parmi lesquels 1&1 et Deutsche Telekom en Allemagne, ou Vodafone au Royaume-Uni. Jusqu’à présent, ces opérateurs ont mis l’accent sur la création d’infrastructures dans des zones qui n’étaient pas couvertes au préalable. Toutefois, la situation pourrait évoluer avec de nouveaux investissements en faveur du mouvement Open RAN.
Selon une étude récemment publiée par le cabinet Dell’Oro, le chiffre d’affaires mondial de la technologie Open RAN devrait représenter plus de 15 % de la technologie RAN d’ici 2027, précisant que le marché européen pourrait dépasser 1 milliard de dollars à la même échéance.
Quels sont les principaux projets Open RAN menés en Europe ? L’Europe est-elle en avance ou en retard ? Existe-t-il un risque de dépendance vis-à-vis des équipementiers asiatiques ou américains ?
Joe Barry – S’ils sont en tête en termes d’objectifs, les opérateurs européens font preuve d’une relative prudence, car nous n’en sommes encore qu’aux débuts de la 5G qui représente un défi financier considérable pour les opérateurs. Le récent livre blanc rédigé par les cinq principaux opérateurs européens (Deutsche Telekom, Orange, Telecom Italia (TIM), Telefónica et Vodafone) reflète également ce sentiment. Par exemple, tout en soulignant qu’Orange s’est engagé à utiliser exclusivement des produits conformes à la technologie O-RAN lors des mises à niveau de son réseau à partir de 2025, le document précise que les engagements pris dans le cadre des contrats déjà conclus avec des fournisseurs continuent de ralentir la transition vers la technologie Open RAN. Lorsque ces contrats prendront fin, à savoir à partir de 2025, l’Europe devrait être en mesure de rattraper rapidement son retard.
Cela dit, nous constatons des progrès en Europe. Par exemple, Vodafone a lancé le premier site 5G Open RAN à Bath (Royaume-Uni) au début de l’année dernière, et collabore depuis avec Samsung pour promouvoir la technologie Open RAN aux quatre coins de l’Europe, y compris en Allemagne et en Espagne, à la fois sous la forme de projets pilotes et en déployant des réseaux RAN virtuels (vRAN).
Pour la suite, nous avons la conviction que la collaboration et l’adoption d’une approche reposant sur des partenariats joueront un rôle essentiel pour stimuler l’innovation dans l’ensemble du secteur.
Quels sont les défis auxquels la technologie Open RAN doit faire face, que ce soit en matière de technologie, de déploiement ou d’adoption ?
Joe Barry – L’Alliance O-RAN a sensiblement progressé en définissant des standards d’interface stables et en créant des conceptions de référence pour plusieurs nœuds du réseau, notamment les unités radio (RU), les unités distribuées (DU) et le contrôleur intelligent RIC. Les protocoles de test sont eux aussi en cours de standardisation. Même si ces programmes seront par définition toujours en cours d’évolution dans la mesure où le réseau est constamment amélioré, il est à noter que de nombreuses interfaces sont stables. Dans l’unité radio par exemple, un domaine où Analog Devices est directement impliqué, l’interface entre les unités radio small cell et macro cell est très stable. En outre, d’autres fournisseurs font leur apparition sur ce marché. Pour ce qui est de l’adoption, le changement de génération sur les marchés plutôt orientés matériel est plus lent que pour les segments axés sur le logiciel.
Comment la technologie Open RAN va-t-elle modifier l’écosystème des réseaux mobiles, et avec quels nouveaux acteurs ?
Joe Barry – Le nombre de fournisseurs présents sur le marché va augmenter, de même que l’offre de produits. Plusieurs nouveaux venus proposent déjà des radios, des stacks réseau complètes, des applications, etc. L’Alliance O-RAN compte plus de 300 entreprises contributrices, un nombre qui s’est considérablement accru au fil du temps, puisqu’elles étaient initialement une quarantaine.
Quelle est la position d’Analog Devices vis-à-vis de la technologie Open RAN ?
Joe Barry – En tant que précurseur de cette technologie, membre-contributeur de l’Alliance O-RAN et membre actif d’autres organisations dédiées aux réseaux Open RAN, Analog Devices est convaincu que la diversification des fournisseurs est saine pour la stabilité à long terme, la sécurité et l’innovation des infrastructures sans fil cellulaires.