Ethernet 10BASE-T1L, une technologie au service des bâtiments intelligents et de l’environnement
Expliquer le concept de « bâtiment intelligent », étudier les facteurs qui influencent leur construction et comprendre comment les nouvelles technologies de connectivité Ethernet permettent de rendre « intelligents » des bâtiments existants. Tels sont les objectifs de cet article.
Barry Mulligan, directeur du marketing d’Analog Devices, article adapté par Pascal Coutance
Avant toute chose, il convient de définir ce que l’on entend par « bâtiment intelligent ». L’expression « bâtiment intelligent » a été utilisée pour la première fois aux États-Unis au début des années 80. L’Intelligent Building Institution, basée à Washington, en donne la définition suivante : « Un bâtiment intelligent intègre divers systèmes pour gérer des ressources de façon efficace selon une approche coordonnée, dans le but de maximiser les performances techniques, le coût des investissements, les dépenses opérationnelles et la flexibilité. »
Comment différencier alors un bâtiment « intelligent » d’un bâtiment « connecté » ? Dans un bâtiment connecté, l’utilisateur programme des systèmes pour qu’ils agissent conformément à ses intentions. En revanche, un bâtiment intelligent dispose des moyens de détection et de traitement qui lui permettent de « s’écouter » et de se programmer pour prendre des décisions qu’il considère optimales. Pour ce faire, ce bâtiment doit disposer des capacités de détection nécessaires pour « capter » le maximum d’informations relatives à l’environnement extérieur, de voies de communications capables de transmettre ces données à son « cerveau » – sur site ou dans le cloud – et d’algorithmes d’apprentissage automatique implantés dans son cerveau pour traiter les informations reçues et prendre les mesures jugées optimales. Ces actions seront ensuite renvoyées aux systèmes « compétents » qui les exécuteront en empruntant le même circuit de communications.
État des lieux actuel des bâtiments intelligents
Si vous vous retrouviez, un jour, dans une situation catastrophique, par exemple, perdu dans la nature ou échoué sur une île déserte, vous devriez appliquer la règle de survie suivante : trouver un abri en moins de 3 heures, un point d’eau en moins de 3 jours et de la nourriture en moins de 3 semaines. Trouver un abri est une priorité absolue dans ce scénario. Certes, nous ne sommes actuellement pas perdus dans un environnement hostile, mais la façon dont nous allons répondre à la quête d’un abri en adoptant des bâtiments intelligents est primordiale pour l’avenir de notre planète et de l’humanité. La transformation numérique permet de rendre un bâtiment intelligent, qu’il soit neuf ou déjà construit. Ce processus transforme les facteurs qui influencent le fonctionnement et l’entretien en signaux numériques pouvant être mesurés en temps réel et renvoyés au cerveau du bâtiment à des fins d’analyse, puis de gestion. La façon dont nous numérisons les bâtiments neufs et existants afin de maximiser leur efficacité énergétique et leur durabilité est la clé pour maîtriser l’avenir de notre empreinte carbone et garantir la survie de notre espèce. En ce qui concerne l’avenir des bâtiments intelligents, quatre aspects doivent être pris en compte :
► la santé et la sécurité — l’espace habitable est-il conçu dans le but d’augmenter le bien-être de ses occupants ? Un individu qui se sent en sécurité dans un environnement aménagé pour améliorer son état d’esprit et sa qualité de vie sera plus productif.(1) Cette approche s’avère encore plus importante dans le contexte du Covid-19, au moment où les salariés retrouvent le chemin du bureau ;
► la durabilité — l’efficacité énergétique du bâtiment est-elle suffisante pour réduire son empreinte carbone ? Cette question est importante pour les propriétaires, car non seulement cela leur permettra de réduire leurs factures d’électricité et d’entretien mais cela offrira aussi des avantages d’ordre environnemental, économique et social à l’ensemble de la population ;
► la résilience — l’espace est-il imaginé dans une perspective d’avenir et pour résister à l’épreuve du temps ? Un bâtiment construit aujourd’hui a une durée de vie de 150 ans, voire davantage. Si nous n’avons évidemment pas connaissance des innovations et des technologies de demain, nous pouvons les anticiper pour que l’infrastructure informatique (IT) et l’infrastructure opérationnelle (OT) de nos bâtiments soient capables d’absorber l’augmentation du trafic de données que ne manquera pas de générer la connexion de nouveaux systèmes et leur adressage par IP ;
► les critères économiques — sans mesures financières réellement incitatives, il est très difficile d’induire des changements. L’argent est synonyme de valeur, et les bâtiments intelligents génèrent de la valeur. Dans un premier temps, des investissements en capital sont toutefois indispensables avant de réaliser des économies. Des modèles de financement novateurs seront nécessaires pour permettre aux propriétaires de transformer leurs bâtiments en vue de les rendre intelligents.
Ces quatre exigences peuvent être prises en charge grâce à l’automatisation des bâtiments. Aujourd’hui, l’automatisation repose dans une large mesure sur des systèmes fermés et cloisonnés qui accomplissent leur mission de manière isolée, sans être influencés ni actionnés par d’autres systèmes. C’est le cas de fonctions telles que le chauffage, la ventilation et la climatisation (HVAC), l’éclairage, le contrôle d’accès, les alarmes incendie, les ascenseurs ou la détection de présence. Ces systèmes cloisonnés sont particulièrement inefficients et contribuent également à augmenter l’empreinte carbone.
Nous allons à présent examiner les grandes tendances qui favorisent l’évolution vers les bâtiments intelligents, ainsi que les avantages que peuvent apporter les investissements consacrés à cette technologie.
Pourquoi avons-nous besoin de bâtiments intelligents ?
La figure 1 représente ce que l’on appelle « l’entonnoir d’influence ». L’écosystème illustré explique comment le monde moderne nourrit le besoin en bâtiments intelligents. Dans un premier temps, nous allons faire le point sur les macro-tendances qui régissent le monde, à savoir l’urbanisation et le changement climatique.
L’urbanisation désigne la migration des populations depuis les zones rurales vers les zones urbaines. Ces populations se déplacent vers les villes pour bénéficier d’un meilleur cadre de vie. Les zones urbanisées offrent en effet de meilleures perspectives d’emploi, mais également un meilleur accès aux biens, aux services, à la santé et à l’éducation. La croissance démographique contribue elle aussi à l’urbanisation : on estime qu’à l’horizon 2050, plus de 65 % de la population mondiale vivra dans un environnement urbain et que la superficie occupée par des bâtiments doublera d’ici 2060 sur l’ensemble de la planète, ce qui correspond à l’ajout d’une ville comme New York tous les mois pendant 40 ans(2).
Le changement climatique correspond à la modification des schémas climatiques mondiaux ou régionaux, et tout particulièrement au changement apparu entre le milieu et la fin du 20e siècle, lequel est, dans une large mesure, imputé à l’augmentation du niveau de dioxyde de carbone atmosphérique produit par l’utilisation de combustibles fossiles. Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les bâtiments sont responsables de 40 % des émissions mondiales de CO2, dont 28 % sont dus à leur exploitation et à leur entretien(3). Selon des prévisions alarmantes, 50 % de l’énergie actuellement utilisée par les bâtiments est gaspillée(4). Ces dernières années, la consommation d’énergie et, par conséquent, les émissions de CO2 des bâtiments se sont à peine stabilisées, indiquant clairement que la mise en service d’un nombre accru d’immeubles connectés contribuera à accroître l’impact environnemental des bâtiments, à moins d’améliorer leur efficacité énergétique.
De nombreux groupes de réflexion influents, dont le programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE) et la Banque mondiale, concentrent désormais leur activité sur les politiques capables d’améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, sur les mesures incitant à investir dans des bâtiments durables et intelligents, ainsi que sur la modernisation des anciens bâtiments en vue d’assurer leur conformité aux normes de durabilité actuelles de l’UE.
Les gouvernements du monde entier, liés par les engagements pris en faveur de la lutte contre le changement climatique, commencent à appliquer les politiques proposées. Dans le cadre de son Pacte Vert, l’Union européenne finance actuellement un programme de rénovation de grande envergure. L’UE compte environ 220 millions de bâtiments, dont 85 % ont été construits avant 2001. De plus, 90 % du parc immobilier existant sera encore debout en 2050, ce qui constitue une base solide pour cette initiative. L’Europe ambitionne de rénover 30 millions de bâtiments d’ici à 2030. Aux États-Unis, le projet de loi sur les infrastructures et la loi sur l’accélération des bâtiments intelligents et, en Chine, le 14è plan quinquennal 2021-2025, devraient favoriser le lancement d’initiatives similaires(5).
Les politiques gouvernementales et les réglementations en matière de construction favorisent les améliorations énergétiques avec notamment la révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (PEB). De même, les normes de l’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers (ASHRAE) favorisent la conformité règlementaire, tandis que des règlementations spécifiques voient le jour dans d’autres pays.
En outre, il est de plus en plus fréquent que les immeubles arborent la certification « bâtiment vert » ou « bâtiment intelligent ». Dans certains cas, cette certification est liée à un investissement financier spécifique, mais la plupart du temps, il ne fait aucun doute que ces certificats ajoutent une valeur non négligeable au bâtiment. Des certifications telles que LEED, BREEAM ou EDGE sont aujourd’hui couramment décernées et en Chine, la certification verte des bâtiments a actuellement le vent en poupe. La certification des bâtiments intelligents est plus récente, mais la création du programme SPIRE par les organismes de normalisation UL (Underwriters Laboratory) et TIA (Telecommunications Industry Association) constitue un solide atout.
Sur le plan économique, ces améliorations potentielles apportent une valeur ajoutée en contribuant à la construction de bâtiments plus sains, davantage respectueux de l’environnement et plus intelligents. Des études menées à Londres montrent que les bâtiments certifiés sont loués ou vendus 4 % plus cher que les immeubles non certifiés situés dans la même zone(6).
Face à l’évolution du contexte mondial, la forme des bâtiments est en train d’évoluer, et les grands noms du secteur de l’automatisation l’ont bien compris. Nous avons ainsi remarqué que la publication de leurs résultats trimestriels fait désormais état du nombre de mégatonnes de CO2 économisées par leurs clients et souligne le rôle de bâtiments toujours plus verts et plus sains. Pour suivre cette dynamique, les spécialistes de l’automatisation des bâtiments vont déployer des programmes de transformation numérique et de numérisation des bâtiments qui, en intégrant des fonctions intelligentes jusqu’aux nœuds situés en périphérie de réseau, permettront de collecter des données plus intelligentes et de générer des informations davantage exploitables dans plusieurs systèmes. Objectif : affiner et optimiser les performances de chaque bâtiment pour garantir une efficacité énergétique et une durabilité maximales.
Concevoir un bâtiment intelligent, mode d’emploi
La plupart des bâtiments modernes sont équipés d’un système de gestion du bâtiment composé de sous-systèmes indépendants qui exécutent une fonction particulière : éclairage, climatisation, contrôle d’accès, etc. Pour rendre ces bâtiments intelligents, il ne suffit pas de les doter d’une toute nouvelle infrastructure, ce processus étant beaucoup trop onéreux. En revanche, les fabricants de semiconducteurs peuvent fournir aux professionnels les technologies nécessaires pour numériser l’infrastructure existante et interconnecter des systèmes cloisonnés. La figure 2 illustre parfaitement la manière dont plusieurs technologies et protocoles de communications peuvent rendre intelligent un système de gestion du bâtiment existant.
Le protocole Ethernet standard, grâce auquel les particuliers et les entreprises bénéficient d’un débit élevé, affiche certaines limites, qu’il s’agisse de la distance couverte ou des topologies prises en charge. Et s’il était possible d’utiliser les protocoles Ethernet et IP sur des câbles ordinaires, tels qu’une paire torsadée unique sur une distance pouvant atteindre un kilomètre ? Une telle évolution garantirait une connectivité continue entre le cloud et les nœuds de périphérie, en faisant converger les technologies de l’information (IT) et les technologies opérationnelles (OT) en vue de décloisonner des systèmes capables de collecter des données, mais pas de les n’utiliser intelligemment ni de produire des informations pertinentes.
Dans cette optique, la technologie 10BASE-T1L rend possible la connectivité continue entre le cloud et les nœuds en périphérie de réseau, et ainsi l’adressage de ces nœuds via une liaison IP, lesquels, à leur tour, autorisent un contrôle en temps réel en tous lieux. Cette prise de contrôle transparente se traduit par une réduction du coût de possession, dans la mesure où la connectivité est simplifiée, où les données sont facilement agrégées et interprétées, et où l’installation et la maintenance sont grandement simplifiées. Nous avons désormais la possibilité d’injecter de l’intelligence à des endroits où seuls des capteurs analogiques pouvaient jusqu’alors opérer. En numérisant la périphérie du réseau et en générant des données plus intelligentes, nous avons la possibilité de numériser l’ensemble des bâtiments.
La norme 10BASE-T1L a été ratifiée par l’IEEE en 2019 sous la référence 802.3cg. En tant que membre de ce comité, Analog Devices a joué un rôle majeur dans le développement de cette norme qui couvre la transmission d’énergie et de données sur un seul câble à un débit de 10 Mbits/s. Dans ce cas, le câble est une simple paire torsadée et la portée atteint 1 km. Il est important de souligner que les projets de modernisation peuvent réemployer le câblage standard déjà en place.
Par rapport à d’autres protocoles existants comme le RS-485, la technologie 10BASE-T1L apporte des améliorations notables : le débit est constant sur 1 km et ne dépend pas de la distance, contrairement à la norme RS-485. De plus, le nombre de nœuds gérés par le protocole 10BASE-T1L est illimité pour les données, alors qu’il est plafonné à 256 pour la norme RS-485. Enfin, l’un des avantages, et non des moindres, réside dans la possibilité de transporter le courant électrique sur la même paire torsadée jusqu’à une puissance maximale de 52 W — similaire au protocole POE (alimentation sur Ethernet) —, largement supérieure à la puissance limitée de la norme RS-485.
Bien sûr, le protocole RS-485 reste parfaitement adapté à certains scénarios d’automatisation des bâtiments, et nous savons pertinemment que la transformation numérique des bâtiments ne se fera pas du jour au lendemain. En d’autres termes, le protocole 10BASE-T1L devra à moyen terme continuer de fonctionner en parallèle des systèmes existants. La figure 2 représente une architecture existante où le protocole 10BASE-T1L est connecté jusqu’à la périphérie du réseau via une liaison IP, parallèlement au protocole RS-485 et aux entrées/sorties configurables par logiciel.
Si cette norme fournit des indications pour opérer sur une distance de 1 km, elle n’interdit pas l’utilisation d’autres câbles, sachant bien sûr qu’ils ne pourront couvrir une telle distance. Les câbles blindés et non blindés sont autorisés, ce qui permet une mise à niveau dans la plupart des situations. Il serait intéressant d’identifier exactement à quel endroit se situent les problèmes sur un câblage d’1 km. Tout exploitant d’un système de gestion des bâtiments BMS connaît les efforts qu’induisent l’installation, la mise en service et la maintenance d’un système câblé couvrant 1 km. Heureusement, le protocole 10BASE-T1L résout ce problème en permettant de réaliser des tests de conformité et de contrôle qualité de la connexion, ainsi que des tests en vue de l’installation et de la maintenance du câblage.
Références:
1. Juan Palacios, Piet Eichholtz, and Nils Kok. “Moving to Productivity: The Benefits of Healthy Buildings.” PLoS ONE, Vol. 15, No. 8, août 2020.
2. D’ici 2050, 68 % de la population mondiale vivra dans des villes, Département des affaires économiques et sociales des Nations-Unies, mai 2018 (en anglais).
3. Edward L. Glaeser et Matthew E. Kahn. “The Greenness of Cities: Carbon Dioxide Emissions and Urban Development, National Bureau of Economic Research, août 2008.
4. Energy Use Overview, Sustainable Energy Authority of Ireland, 2020.
5. Questions et réponses sur la vague de rénovations, Commission européenne, octobre 2020.
6. Natasha Sadikin, Irmak Turan et Andrea Chegut, The Financial Impact of Healthy Buildings: Rental Prices and Market Dynamics in Commercial Office
7. “Global Warming and Endangered Species Initiative.” Center for Biological Diversity.