Semiconducteurs : faut-il encore déstocker ?
En l’espace d’un trimestre, le monde de l’électronique est passé d’une phase de croissance «confortable» à une phase de croissance relativement faible pour de nombreux secteurs dont les smartphones, les PC et les tablettes. En toute logique, les fabricants de systèmes réduisent leurs engagements en approvisionnement de cartes et composants, d’autant que les prix des semiconducteurs (en dollars) ont tendance à baisser. Cette situation devait perdurer quelques mois. Par JP Della Mussia.
Les études publiées pendant l’été sur la croissance des marchés de l’électronique ont révélé que la situation s’était dégradée au premier semestre pour les secteurs informatiques et télécoms (74 % du marché des circuits intégrés) et que les conséquences sur le marché des semiconducteurs étaient significatives. Cette croissance s’est réduite pour les smartphones et les tablettes, et elle est devenue négative pour les PC (voir nos articles en cliquant sur chaque mot). Certains notent, qu’en plus, les productions faiblissent en Chine en électronique. En fait, pour les secteurs concernés, il s’agit là d’une redondance : c’est en effet en Chine qu’est fabriquée la quasi totalité de ces produits ; il est même logique que ce soit la Chine qui donne désormais le « la » de la conjoncture pour les fournisseurs de l’électronique.
Des déstockages sont engrangés
Qu’en est-il donc sur le terrain ? La consommation de composants la plus proportionnelle à la production de cartes ou de produits électroniques finis est la consommation de connecteurs. Nous avons ainsi interrogé à ce sujet un fournisseur (ne souhaitant pas être cité) de l’industrie des connecteurs et lui avons demandé comment évoluaient ses ventes en Chine (il a une usine sur place et est un fournisseur reconnu). Réponse : la demande a commencé à faiblir en mai et, à ce jour, la prévision de croissance 2015 de ses marchés en Chine a été divisée par quatre. Il n’y a donc pas décroissance de marchés mais ralentissement très significatif de croissance. Trop significatif d’ailleurs pour refléter les seuls besoins immédiats chez les clients : il est clair que la prudence s’installe, comme à chaque cycle, et que des déstockages de connecteurs (ou des réductions d’engagement d’achat) sont engrangés depuis mai. S’ils sont engrangés pour les connecteurs, ils le sont aussi pour d’autres composants et en particulier pour les semiconducteurs. Il ne faut donc pas s’étonner que le taux d’utilisation des capacités de production des usines des fondeurs- autre indicateur de conjoncture en semiconducteurs- baisse. Alors que la situation était plutôt relativement tendue en début d’année (Gartner évoquait une utilisation des capacités de production de l’ordre de 92%), les bruits courent que ce taux d’utilisation se situerait maintenant entre 75% et 90%, suivant les fournisseurs et les technologies. Conséquence directe : les prix baissent aussi (nous ne pouvons pas être plus précis). Or, si les prix baissent chez les fondeurs, ils peuvent aussi baisser chez les fabricants de semiconducteurs qui font sous-traiter la fabrication de leurs circuits aux fondeurs. Il est ainsi logique que les acheteurs retardent le plus possible leurs achats. Attention toutefois de ne pas assimiler la situation actuelle à celle de fin 2000 par exemple : à cette époque, suite à une pénurie de composants, il y a eu une bulle énorme pour les stocks, bulle qui ne pouvait qu’éclater un jour ou l’autre. Aujourd’hui, il n’y a pas de bulle. Les stocks de composants sont quasi normaux. S’il y a déstockages, cela ne pourra, à notre avis, être l’affaire que de quelques mois, et avec une intensité modérée ; le mouvement est d’ailleurs déjà engrangé depuis environ trois mois.
Vers une croissance de 2% en semis cette année ?
Qu’en est-il donc des prévisions de croissance du marché des semiconducteurs pour 2015, toutes comprises entre 3% et 12% en début d’année ? Bien entendu, elles s’adaptent elles aussi. Pour les raisons évoquées (baisse des quantités et des prix) mais aussi pour d’autres qui tiennent à la maîtrise bien meilleure qu’anticipé des rendements de production chez les fondeurs de semiconducteurs dans les technologies les plus fines (16 nm et 14 nm). Rappelons-nous : fin 2014, ne nous parvenaient que des bruits alarmistes sur les capacités de Samsung et TSMC, les deux principaux fondeurs en la matière, à maîtriser les rendements de production dans les technologies 16 nm (chez TSMC) et 14 nm (chez Samsung). Or Apple, le plus gros consommateur mondial de ce type de produits, a basculé au premier semestre une part importante de ses achats de circuits avancés de TSMC vers Samsung, qui a une petite avance technologique. Mais qui avait aussi par ailleurs les besoins de sa division « mobiles » à satisfaire pour ses derniers smartphones. Des doutes sur la capacité de Samsung à se sortir d’affaire sont alors nés, avec craintes que les clients des fondeurs ne se reportent sur des technologies moins pointues, saturant les usines correspondantes et faisant augmenter les prix. (Nous avions intégré cette hypothèse dans notre prévision de croissance de marché de 2015 parue le 5 janvier dernier). Ces craintes ne se sont pas concrétisées. Les difficultés de fabrication des circuits Finfet concernés sont certes toujours là -Intel a d’ailleurs reporté d’un an l’introduction de ses circuits de la génération suivante, en 10 nm-, mais Samsung a su répondre à la demande, peut-être aidé par une demande de smartphones haut-de-gamme plus faible que prévu.
Quoi qu’il en soit, les prévisions de croissance du marché des semiconducteurs pour 2015 sont passées à 2% chez IC Insights, la société d’études la plus crédible en la matière. En phase de stockage ou déstockage, ce genre de prévision révèle toutefois de l’acrobatie : la fourchette d’incertitude devient importante quand des facteurs psychologiques chez les acheteurs entrent en jeu. Prudence, donc.
JP Della Mussia